Dimanche 2 octobre dernier, dans le cadre du festival angloye A mots ouverts, l’avion d’Antoine de Saint Exupéry a atterri au Théâtre Quintaou d’Anglet devant un public constitué d’autant d’enfants que d’adultes : pas assez nombreux, face à un spectacle plein de poésie, le festival se poursuit jusqu’à cette fin de semaine encore.
A l’image du livre qui demande pardon aux plus jeunes de s’adresser aux grandes personnes, ce Petit Prince, revisité par le conteur Julien Cottereau et le duo pianistique Jatekok, a été un de ces moments fous de poésie et de rêverie clairvoyante de ce 5ème festival A mots ouverts d’Anglet. Une belle façon, pour un festival de mots, d’ouvrir les portes de l’imaginaire, qui reste à franchir jusqu’à la fin de cette semaine.
On connaît par cœur ce conte allégorique, même si plusieurs lectures ont confirmé qu’on le comprenait différemment à chaque âge.
Le petit prince de Saint-Exupéry a caressé l’épiderme du spectateur, interprété par un duo pianistique à quatre mains et un féérique conteur et mime (on vous en parle plus bas) jouant, à lui tout seul, les rôles du prince, de l’aviateur, du renard et de tous les autres personnages. Le décor est bleuté. Un piano et des lampes suspendues suffisent : tout le reste s’imagine.
Ici, le récit commence par un morceau en forme de poire d’Erik Satie, affichant la difformité superbe de l’instant à venir : celle d’un regard lucide mais tendre sur les planètes de chacun. De courtes pièces musicales, de Ravel à Debussy, se gardent une part d’histoire et de sensibilité, sans tout laisser aux mots.
Les mots, le comédien les tend comme des ballons, à la portée de tous ou presque, selon le degré de légèreté et de profondeur transporté.
Sa voix n’est pas seule à habiter l’histoire, tout son corps la contient, de la rose en plein réveil à l’allumeur de réverbère grimpant sur une échelle imaginaire. Des bruitages plein la bouche, mimant la mine d’un feutre sur un tableau ou le tire-bouchon d’une planète ivre, donnent une dimension subtilement clownesque qui n’échappe pas aux petits princes, blonds ou pas, dans la salle.
On suit le trio de planète en planète pendant plus d’une heure et si les enfants rient des bruits de l’avion, des ondulations sensuelles de la rose ou des maladresses du roi, les adultes, eux, se sentent aussi mélancoliques et charmés que l’aviateur, à tenter de sécher les larmes d’un enfant accablé par l’absurdité des adultes.
Ils tentent de se rappeler s’ils ont, eux aussi, apprivoisé quelqu’un un jour, ou si une rose s’est déjà offerte, sans qu’ils soient encore assez grands pour aimer sa tendresse derrière les épines.
Le comédien est d’une générosité émouvante. Il se faufile entre les sièges pour faire entendre la parole du renard et demande au public de répéter certaines phrases trop entendues sans jamais être vécues suffisamment, illustrant un peu de ce temps qu’on passe auprès des autres et qui les rend si importants.
Un trop petit public était là pour accueillir les artistes, le soleil de l’automne n’ayant pas dû inspirer de plonger dans la nuit d’une salle de théâtre.
Mais les personnes présentes ont su faire s’exprimer vivement et bruyamment lors du salut pour restituer un peu ce qu’ils venaient de recevoir : un beau regard, qui allait perdurer quelques heures, avant que la réalité du quotidien, moins enchantée, ne reprenne son contrôle sur la perception.
Le Petit Prince est reparti, mais il faut dire ici la qualité du choix par le festival A mots ouverts d’avoir finement choisi ses spectacles et ses invités.
Julien Cottereau, pour rester encore un peu avec lui, est un véritable personnage de contes.
Acteur pour le théâtre ou le cinéma, clown pour le Cirque du Soleil ou pour Clowns sans frontières avec qui il part en Palestine, au Soudan ou en Afghanistan, il est aussi auteur de court-métrages et de spectacles dont « Imagine-toi » qui reçut le Molière de la révélation masculine en 2007.
Le duo parisien Jatekok (« le jeu » en hongrois), formé par Naïri Badal et Adélaïde Panaget, est complice et espiègle. Leurs miniatures lyriques, « contemplatives » comme elles les nomment, inspirent des projets régulièrement joués à la Cité de la Musique à Paris ou pour Radiofrance.
Un échange chaleureux entre public et artistes devant le théâtre Quintaou eut le bonheur de clore ce moment joyeusement décalé.
C’était une avant-première, le spectacle tournera désormais en 2017 et corrigera sans doute l’âge minimum recommandé pour l’apprécier, « à partir de dix ans », semblant plus adapté qu’à partir de 7.
La ville d’Anglet, elle, pense déjà à faire revenir Julien Cottereau, Peter Pan voyageur ou clown lunaire, astre qu’il doit souvent fréquenter pour écrire ses spectacles.
Pour l’heure, le festival se poursuit jusqu’à dimanche, sur terre et parfois, juste un petit peu au-dessus.
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