Sorti le 5 mai dernier, Gordeak, premier roman de Martine Bouchet, se lit comme une pique de rappel contre un Pays Basque fictionnel, livré à la tyrannie d’un 1984 façon Orwell, avec les bouleversements climatiques comme catalyseur.
L’envie est venue au fil du temps et des propres batailles de militante, ici, au Pays Basque, qu’il faudrait résumer par l’insupportable confiscation de l’environnement naturel et humain par le privé.
Martine Bouchet n’avait jusqu’alors écrit que « utile », et pas avec cette urgence d’imaginer laisser les mots prendre place dans un récit tendu par la perte de la liberté, telle que vécue par les protagonistes de Gordeak : la lettre cachée, son tout premier roman, ces résistants cachés dans un futur situé en 2048 qu’il est impossible d’attendre avec impatience.
La carte intime du Pays basque décrit dans ses 318 pages se compose entre ceux qui sont pucés et ceux qui le refusent, ou n’y auront jamais droit, de toute façon.
La circulation des êtres humains en dépend, entre monde désolé et zones privées, la démarcation se faisant entre ceux qui sont, ou pas, à l’abri des dérèglements climatiques qui ont changé toutes les règles de vie.
Avec pour les uns, un horizon constitué de portiques infranchissables, et pour les autres, un littoral de mer, des magasins de luxe et des universités, sous la surveillance permanente de drones qui ne tolèrent aucune infraction.
De ce cauchemar d’une militante facile à partager, fallait-il encore trouver le moyen de nous le faire ressentir, sans tomber dans une mièvrerie fleurant pâquerettes et colère de bon aloi.
Martine Bouchet a évité l’écueil, malgré un début de roman où l’existence de son jeune personnage principal, Tom, et de ses camarades, se doit d’emprunter au descriptif un peu corseté d’un monde injuste et intolérable.
40 pages lui suffisent, tant mieux, pour que le lecteur choisisse sans hésiter de suivre le destin de ces Gordeak, ces cachés en langue basque, quand, depuis la Nouvelle République de 2025, cet euskara devient signe de ralliement, de clandestinité et de résistance, ou, selon son camp, d’une armée des ombres à exterminer.
– Zer ?, demanda Amia
– Euskaraz mintza gaitezkela uste duzu ?, répond Tom, dont la voix n’était plus qu’un murmure.
– Bai, hemen arriskurik ez da, Ostatuko azantza askarregia da, dit Xabi
Les notes de bas de pages traduisent.
– Qu’est ce que c’est ?
– Tu crois qu’on peut parler basque ?
– Oui, ici, il n’y a pas de risque. Le bruit de fond du bar est trop fort.
L’écriture est vive, et marquée par une rigueur de rythme qui n’est pas toujours à l’oeuvre dans un premier roman.
Elle ne le mesure pas bien, ses amis proches lui ont confié avoir lu Gordeak en pensant « Et alors ? Et alors ? » à chaque chapitre, elle sourit, n’ayant pas d’autre (premier) objectif que d’avoir livré une histoire « agréable à lire ».
Mais elle complète, partage avoir voulu écrire sur ce Pays basque « que j’aime tant, de sa terre si belle, de sa langue ancrée dans son terroir, et des hommes et des femmes qui y habitent ».
Et de cet intolérable qui attend, gueule ricanante et crocs gorgés de fiel, sur un banc en face de la mer auquel vous, misérables non-pucés, n’avez plus accès.
Cela se partage, à l’instinct, par ceux qui, loin d’ici, n’y voient pas qu’une trame fictionnelle : les manoeuvres du privé pour s’accaparer les richesses du naturel s’appuient sur un autoritarisme qui refuse qu’on lui crache le mot fascisme à la face.
Gordeak n’avance pas comme un OVNI, quand le mal est, de toute façon, ordinairement humain.
Mais pour ceux d’ici, qui reconnaitront les ruelles remplies de « nuques raides » du Petit Bayonne (même en 2048, le Café des Pyrénées garde sa vocation d’en abriter les plus déterminés) et d’un Rocher de la Vierge de Biarritz rendu inaccessible, la trame tendue autour d’un sauvetage des chefs de la résistance des Gordeak a une tension parfaitement reconnaissable.
Les arrestations de militants, les coups de feu sans sommation, et la sauvegarde coûte que coûte de sa culture et de son territoire retentissent fortement dans un territoire qui regarde encore avec méfiance ou colère de ces années noires du franquisme aux plaies encore visibles.
Alors le premier mérite de Gordeak est sans doute là, de proposer des aller-retours entre le passé et un futur local où la dictature ne s’invite plus contre les hommes et les idées seulement, mais également pour la confiscation du vivant, dans l’indifférence consentante et sans courage de ces pucés qui, pour la plupart, bégaient la nov-langue du 1984 d’Orwell.
Martine Bouchet confie pourtant un espoir, celui de voir son roman délivrer l’idée, toute simple, que « ça vaut la peine, de résister ».
En refermant son livre, entre polar et récit d’initiation, on veut bien lui accorder cela.
A condition, comme ce que lui demandent ses premiers lecteurs, qu’elle s’attelle à une suite pour ses Gordeak.
‘Gordeak : la lettre cachée’ , de Martine Bouchet
Editions Olha,
distribué par le groupe Elkar dans beaucoup de librairies du Pays Basque
318 pages – 16€,
paru le 5 mai 2014.
Plus de renseignement sur le site Gordeak
AngletBayonneBiarritzLivres
Un roman pour les basques surtout.
Par contre, c’est une piqûre de rappel, une pique de rappel ça n’existe pas.
Bonjour, Laurent,
et merci pour vos commentaires dans cette rubrique Littérature.
Une « pique de rappel », plus massive qu’une simple piqûre, n’a pas besoin d’exister, mais de répondre à une image mentale, comme régulièrement invitée dans ce portail où la liberté rédactionnelle s’impose à une simple rédaction journalistique.
Bien à vous,